Eric Noyer

Nous avons eu l’occasion de joindre au téléphone Eric Noyer, qui a accepte très gentiment de discuter avec nous sur son “Tryptique de Noel” dont nous préparons le troisième volet “Sur la route des rois”, après avoir chanté “Le paradis perdu” et “La nuit des bergers” (œuvres publiées aux Editions A Coeur Joie).

Bonjour Eric Noyer ! Alors tout d’abord, qui êtes vous ? compositeur ? chef de chœur ?

A la fois compositeur et chef de chœur, cela dépend des périodes !

Je ne dirige pas de chorale comme chef attitré, mais je travaille avec de nombreuses chorales selon les opportunités. Par exemple, actuellement, je travaille avec une chorale de la Bresse pour Pâques, et je crée une oeuvre pour un groupe lyonnais.

Comment avez vous compose ce triptyque de Noël ?

A l’école Steiner de Saint-Genis-Laval, il y a une tradition pour Noel de créer et de monter des “jeux” du moyen-age. L’idée initiale a donc été d’étoffer les chants interprétés en solo par un enrichissement de chœur, et j’ai compose la première partie du triptyque, qui a donc été la “Nuit des Bergers”, et dont les textes ont ete crees a partir de l’Évangile de Saint-Luc, du “Jeu de la nativité” et du “Jeu des bergers”, qui sont 2 textes anonymes du moyen age. Cette pièce ainsi créée a été jouée a de nombreux endroits avec succès. En fait, je me suis rendu compte que ces spectacles de Noel répondaient, d’une façon plus générale, a une grande attente du public; on peut ressentir une angoisse diffuse chez les enfants comme chez les adultes a cette période de Noël.Et nos spectacles revivifiaient une culture populaire forte (sans prosélytisme religieux), ce qui nous a permit de jouer a la fois dans des églises, des écoles, des maisons de retraite.
Dans le répertoire traditionnel de Noel, beaucoup de chants évoquent l’histoire malheureuse d’Adam et Ève. La naissance de Jésus serait l’événement qui aurait permis d’envisager un nouvel espoir pour se liberer du drame de la condition humaine. Pour comprendre les chants traditionnels de Noel, il semblait essentiel de revisiter l’histoire d’Adam et Ève au paradis terrestre. C’est de la qu’est partie l’idée de la composition du “Paradis perdu”.Mais les paroles des noëls traditionnels ne permettaient pas de construire un spectacle sur le thème de la création, d’ou l’idée d’une composition originale qui m’a permis de reformuler le texte traditionnel biblique pour essayer de mettre en valeur certaines images symboles, comme par exemple la “Adam-partie masculine en chacun de nous” ou le “Ève-partie féminine en chacun de nous”.
Quant au troisième volet, “Sur la route des rois”, c’est un thème plus difficile a développer: un projet base sur des chants traditionnels ne fonctionnait pas. Et puis, a travers cette histoire, il y a quelque chose d’un autre ordre, il y a des vrais méchants (Hérode est un être terrible a aborder); et au delà de l’histoire, ce sont les prémices de la conscience de choses terribles !Qu’y-a-t-il d’Hérode en moi, en quoi me permet-il de me comprendre ? Car, quand j’écris, je me mets dans tous mes personnages, au sens de l’acteur qui doit “vivre” son personnage; et les horreurs d’Hérode, aujourd’hui, vont d’Auschwitz a la pédophilie (massacre des enfants innocents).A travers la musique traditionnelle des noëls, trop “gentille”, je ne pouvais pas trouver de moyen de m’exprimer. C’est la raison pour laquelle  j’ai préféré composer les chants de ces passages, pour marquer aussi la rupture avec la tradition.  

J’avais aussi la question: Comment traduire en musique les rois mages ? Il y a un cote plus droit, dans la pensée et la verticalité chez les rois alors qu’il y a un cote plus végétal, dans le cœur et la souplesse avec les bergers. Je m’explique : si vous regardez les nativités dans la peinture du XVieme siècle (par exemple), vous trouverez deux types de nativités. Les premières représentent une crèche ou une grotte, avec Jésus couche sur le sol dans la paille, Marie très jeune, les bergers et leurs animaux. Les secondes représentent une maison ou un palais, avec Jésus assis sur les genoux de Marie qui parait plus âgée, les rois mages et leur suite. Le contraste est la traduction des textes évangéliques. Seul St Luc parle des bergers avec une généalogie pour Jésus. Seul St Matthieu parle des rois en donnant une généalogie un peu différente. Les artistes, au cours des siècles, ont cherche a rendre sensibles ces différences et je m’inscris dans cette tradition.Donc deux mondes vraiment différents, le monde plus populaire et sa naïveté, le monde plus savant avec les rois. Voila pourquoi j’ai introduit dans ce troisième volet des morceaux de musique “savante” (Cererols, Praetorius, Bortniansky, Leo Delibes), afin de renforcer cette “verticalité”.Les passages contemporains, avec Hérode, nous font perdre cette  verticalité; et j’aimerais que cela se sente mémé a travers les chanteurs, qui ne peuvent pas rester droits ! 

Votre triptyque est compose pour chœurs a trois voix, pourquoi ? 

La majorité des chorales a des difficultés a trouver des hommes ! J’écris donc a partir de ce qui est, non de ce que je voudrais qui soit ! Ce qui ne m’empêche pas non plus de composer pour 4 voix ! Et puis les spectacles et chants de Noel nécessitent un montage  rapide, qui doit être effectue en 2 mois environ, d’ou ma recherche d’ “efficacité”.Mais au delà de cet aspect pratique, le “3 voix” est aussi un travail passionnant; il permet de montrer comment les voix “entrent en relation”. J’aime beaucoup que le chant passe d’une voix a l’autre; par exemple, dans “Marie allait”, ce sont les altis, puis les hommes, enfin toutes les femmes qui ont le chant; cela facilite un travail de qualité et de précision. J’ai remarque que bien souvent les choristes ont une écoute approximative des autres voix. J’ai l’impression que les autres voix sont perçues un peu comme en “rêve”. Chacun écoute un peu son pupitre et se laisse entourer par les autres voix. Je souhaite que l’écoute des choristes puisse être un peu plus réveillée, qu’ils puissent chanter leur voix tout en se concentrant sur la mélodie chantée par d’autres ! Et ce travail d’écoute est déjà difficile a trois voix, souvent quasi impossible avec la même qualité s’il y a quatre voix. Je souhaite que chaque choriste puisse arriver a ce que son écoute soit centrée entre les voix. Ainsi, le chanteur n’est plus concentre uniquement sur sa partie ; c’est l’ébauche d’un enrichissement des relations “sociales” entre les voix ! Cela chamboule parfois les habitudes (soprano-mélodie, alto-voix d’accompagnement, ténor-en concurrence avec les sopranes et basse-base harmonique). J’ai souvent entendu des alti et des hommes qui m’ont dit être heureux d’avoir le chant, et des sopranes étonnées de découvrir le plaisir de chanter en accompagnement. 

Apres la Création, Noël, les roi mages, a quand une oeuvre pour Pâques ?

Mais elle existe déjà ! J’ai crée “Les trois arbres” (oeuvre éditée aux Editions Symetrie) a partir d’un conte russe:Trois arbres rêvent…L’un veut devenir le plus beau coffre du monde, pour enfermer le plus beau trésor; le second veut devenir le plus beau des galions, pour transporter le plus grand des capitaines;et le troisième rêve de toucher le soleil !Malheureusement le premier devient mangeoire, le second une simple barque sur un lac, le troisième sèche pour devenir simple poutre… de quoi se révolter pour avoir rate sa vie d’arbre ! Pourtant le premier va accueillir un enfant nouveau ne dans une crèche, le second portera un homme capable d’apaiser une tempête, et le troisième deviendra croix qui fait se rejoindre la terre et le ciel  !  

Plus des oeuvres sur le temps de Paques a la Pentecote, sur l’annonciation a Marie et le Magnificat ?

  Oui, j’aime associer la dimension artistique et spirituelle, et essayer d’enrichir la comprehension de l’homme aujourd’hui, au travers de sa culture. Cela depasse le strict sens religieux, je peux faire chanter une messe a des choristes tres divers (certains se disant athees) ! mais il est tout de meme preferable d’en expliquer le processus, pour permettre au chanteur l’interpretation, comme l’acteur qui va habiter son personnage.Et ce qui ne m’empeche pas de composer des oeuvres totalement profanes.

Des projets ? Oh… des centaines ! mais je préfère écrire une oeuvre pour une chorale déterminée, faire le chemin de création avec elle. J’ai déjà écrit une oeuvre sur Bouddha, pourquoi pas en imaginer une sur Mahomet ? 

Merci Eric ! Nous envisageons un travail d’une journée avec vous sur cette oeuvre, et avec grand plaisir !